Lettre d’information franco-allemande | Printemps 2023

Par le biais de cette lettre d’information bilingue, rédigée par l’équipe franco-allemande de GGV Avocats – Rechtsanwälte qui a pour vocation de conseiller les entreprises dans leur relations transfrontalières, nous souhaitons vous tenir informés de l’actualité juridique et fiscale française et internationale.

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Actualités France

  1. CORPORATE – Protéger les données personnelles des bénéficiaires effectifs ? Oui, mais pas celles de tout le monde ! La France fait l’exception
  2. CORPORATE – Le labyrinthe du Guichet Unique
  3. CORPORATE – BREVE – Approbation des comptes annuels
  4. DROIT COMMERCIAL – Loi Descrozaille ou « Egalim 3 » : nouvelles règles entre fournisseurs et distributeurs
  5. DROIT COMMERCIAL – BREVE – La DGCCRF peut déréférencer une plateforme numérique dont le contenu est manifestement illicite
  6. DROIT COMMERCIAL - Rupture brutale des relations commerciales : modalités de la relation pendant le préavis
  7. DROIT COMMERCIAL – Point d’étape : trois ans après le vote de la loi AGEC
  8. DROIT COMMERCIAL – BREVE – Abus de position dominante dans le cadre de contrats de distribution
  9. DROIT DU TRAVAIL – Forfait annuel en jours : nécessité d’un suivi effectif et régulier de la charge du travail du salarié
  10. DROIT DU TRAVAIL – La menace de déposer plainte contre l’employeur peut fonder le licenciement disciplinaire du salarié ayant tenté de l’intimider
  11. DROIT DU TRAVAIL – BREVE – Obligations d’information pour l’employeur
  12. DROIT DU TRAVAIL – BREVE – Allègement des formalités relatives au détachement en France
  13. COMPLIANCE – Fusions-acquisitions : les enjeux des vérifications des programmes de conformité
  14. COMPLIANCE – Première décision en matière de devoir de vigilance en France
  15. COMPLIANCE - Recommandations du BAFA sur l’adéquation des mesures mises en œuvre dans le cadre de l’application de la Loi allemande sur la diligence
  16. DROIT IMMOBILIER - Le propriétaire d’un terrain exploité en tant qu’ICPE (installations classées pour la protection de l'environnement) n’est responsable des déchets que dans des cas restreints
  17. DROIT DE LA SANTE – Suppression des produits cosmétiques et des produits de tatouage de la liste des produits de santé à partir du 1er janvier 2024
  18. DROIT DE LA SANTE – Le fondateur d’un centre de soins esthétiques condamné pour complicité d’exercice illégal de la médecine
  19. PROTECTION DES DONNEES A CARACTERE PERSONNEL – Panorama d’actualité du premier trimestre 2023

Actualités France

CORPORATE – Protéger les données personnelles des bénéficiaires effectifs ? Oui, mais pas celles de tout le monde ! La France fait l’exception

Alors que la Cour de justice de l’Union européenne invalide dans son arrêt du 22 novembre 2022 (CJUE, C-37-20 et C-601/20) les dispositions sur l’accessibilité des informations des bénéficiaires effectifs, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, maintient ce dispositif pour le grand public. Le registre des bénéficiaires effectifs en France reste donc disponible sur le site de l’INPI (Institut national de la Propriété Industrielle), et cela pour tout le monde en France.

1. Qu’est-ce qui est un bénéficiaire effectif et pourquoi l’identifier ?

Depuis l’instauration de la directive n° 2015/849 du 20 mai 2015, transposé dans le droit français dans le Code monétaire et financier, l’identification des bénéficiaires effectifs dans les sociétés et autres entités juridiques constituées sur leur territoire est devenue obligatoire lors de l’immatriculation et des formalités légales.

L’objectif de cette directive consiste en la lutte contre le blanchiment d’argent, la corruption, mais aussi la lutte contre le financement du terrorisme (LCB-FT).

Après plusieurs modifications de ces dispositions, la 5ème directive n° 2018/843 du 30 mai 2018 prévoit aujourd’hui une ample divulgation d’informations des personnes recensées dans ce registre : le nom et les prénoms, date de naissance, le pays de résidence et la nationalité, le cas échéant la fonction dans la société contrôlée (représentant, gérant, associé, etc.) ou la nature et l’étendue des intérêts effectifs que le bénéficiaire effectif détient dans la société ou dans l’entité concernée (pourcentage du capital, pourcentage des détentions par le biais d’une personne morale interposée, ainsi que le pourcentage des droits de vote dans cette structure).

L’identification d’une société est le premier pas pour s’assurer qu’une relation d’affaires en cours ou à venir ne fait pas l’objet de sanctions, de condamnations pour corruption et/ou blanchiment au travers de leurs bénéficiaires effectifs. Ce sujet est à nouveau d’actualité, depuis que la guerre en Ukraine s’est déclenchée le 24 février 2022, car les mesures du gouvernement français, comme le gel des fonds en provenance de Russie, ainsi que la saisie des biens des oligarques, obligent les sociétés à une vérification de ses interlocuteurs au moyen de ce registre.

Dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, l’identification d’un bénéficiaire effectif peut amener à des investigations supplémentaires, notamment lors de la détection d’une personne politiquement exposée parmi les bénéficiaires.

L’omission de l’identification d’un bénéficiaire peut entraîner des risques de sanctions pour corruption, blanchiment d’argent, fraude fiscale, ainsi que des risques réputationnels souvent irrécupérables.

2. Quels impacts a cet arrêt pour les pays européens ?

A la suite de la décision de la CJUE, l’accès public aux données des bénéficiaires effectifs doit être fermé pour l’ensemble des pays concernés. La Cour a considéré que l’accès du grand public aux informations sur les bénéficiaires effectifs constitue une ingérence grave dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel, respectivement consacrés aux articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Elle condamne donc l’accessibilité au public des informations car cela est jugé attentatoire aux droits des bénéficiaires effectifs. Par conséquent, le registre des bénéficiaires ne doit être rendu disponible qu’aux seules personnes assujetties à l’inscription et sociétés ayant un intérêt légitime à conserver cet accès.

Ainsi, le Luxembourg, l’Autriche, l’Allemagne, la Belgique, Chypre ou encore Malte ont limité partiellement (uniquement disponible à la presse et aux assujettis LCB) ou totalement l’accès à leurs registres. À ce jour, certains pays membres ne se sont pas encore prononcés sur l’application de la décision de la CJUE.

La France, quant à elle, a pris la décision, au travers d’un communiqué du ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, de maintenir l’accès du grand public aux données du registre des bénéficiaires effectifs dans l’attente de tirer toutes les conséquences de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union Européenne.

Cette interprétation de la décision de la CJUE a pour conséquence des écarts de pratiques importants entre les différents pays européens pour les mois ou les années à venir, ce qui est peut-être finalement le plus dommageable pour la LCB-FT.


 

CORPORATE – Le labyrinthe du Guichet Unique

Depuis le 1er janvier 2023, le gouvernement a mis en place un nouveau dispositif pour l’exécution de toutes les formalités légales, le « Guichet Unique », tenu par l’Institut national de la protection industrielle (INPI). Cette plateforme, qui a une vocation de simplification des démarches administratives, connaît toutefois quelques difficultés dans sa mise en place.

Le Guichet Unique a pour objectif de simplifier et d’uniformiser les démarches lors des formalités auprès des organismes tels que la chambre de commerce et d’industrie, la chambre des métiers, le centre de formalités des entreprises, le registre du commerce et des sociétés, l’URSSAF, ou les services fiscaux.

Dans ce cadre, il doit centraliser toutes les formalités des entreprises au sein d’un registre unique, le Registre National du Commerce et des Sociétés (RNCS).

Toutes les formalités légales concernant les entreprises, qu’il s’agisse d’une création, d’une modification ou du dépôt des comptes annuels, doivent donc désormais être exécutées exclusivement sur cette plateforme.

L’extrait INPI a par ailleurs vocation à remplacer les extraits Kbis d’ici la fin de l’année 2023 et à leur substituer le numéro unique d’identification délivré par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE): le numéro SIREN. Grâce à ce numéro, l’administration chargée de traiter une demande ou une déclaration pourra accéder, par l’intermédiaire du site internet annuaire-entreprises.data.gouv.fr, aux données qui lui sont nécessaires sur l’entreprise.

Le Guichet Unique rencontre toutefois de nombreuses difficultés techniques, notamment dans le cadre du dépôt des comptes annuels.

Afin de remédier provisoirement aux dysfonctionnements de ce nouveau dispositif, le Ministère de l’Economie a mis en place une procédure de secours, qui devrait être maintenue jusqu’au 30 juin 2023. Infogreffe ainsi que les centres de formalités des entreprises ont repris partiellement leurs services pour faire face aux enjeux et défauts du Guichet Unique, permettant d’effectuer la plupart des formalités de modifications, à l’exclusion toutefois des formalités de créations et de radiations d’entreprises.

La procédure de secours prévoit également la possibilité de déposer les comptes annuels en version papier.

Nous suivons de près les évolutions et contactons régulièrement les Greffes et les autres organismes concernés pour nous renseigner des nouvelles solutions.

Le pôle Corporate de GGV vous accompagnera et sera ravi de vous conseiller lors de vos démarches et formalités légales pendant cette période compliquée.


 

CORPORATE – BREVE – Approbation des comptes annuels

La campagne d’approbation des comptes commence pour les sociétés commerciales dont les comptes annuels ont été clôturés au 31 décembre 2022. Les comptes annuels devront être approuvés au plus tard le 30 juin 2023 par l’assemblée générale des associés ou l’associé unique selon le cas. Dans ce cadre, et sauf dispense prévue par la loi, le dirigeant doit établir le rapport de gestion.

Pour mémoire, les petites sociétés sont dispensées d’établir un rapport de gestion, lorsqu’à la clôture de l’exercice, elles ne dépassent pas deux des trois seuils suivants :

  • total du bilan : 6 millions d’euros ;
  • montant du chiffre d’affaires net : 12 millions d’euros ;
  • nombre moyen de salariés au cours de l’exercice : 50.

Ne peuvent pas bénéficier de cette dispense notamment les entreprises d’assurance et de réassurance, les sociétés dont l’activité consiste à gérer des titres de participation ou des valeurs mobilières (par exemple les holdings) ou la société qui a dans ses statuts une clause imposant l’établissement d’un rapport de gestion, sauf si cette clause fait référence à la loi. Pour pouvoir bénéficier de la dispense, une modification préalable des statuts reste possible.

L’approbation des comptes peut également être l’occasion d’insérer des points à l’ordre du jour relatifs soit à l’activité de la société soit à sa structure.


 

DROIT COMMERCIAL – Loi Descrozaille ou « Egalim 3 » : nouvelles règles entre fournisseurs et distributeurs

La loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite « loi Descrozaille » du nom du député qui l’a proposée, modifie à nouveau les règles applicables entre fournisseurs et distributeurs, notamment de produits de grande consommation (produits non durables à forte fréquence et récurrence de consommation, dans la suite « PGC »).

De nombreuses règles du droit français portant sur les conventions entre fournisseur et distributeur relatives à des produits ou services commercialisés sur le territoire français deviennent désormais d’ordre public et sont soumises à la compétence exclusive des tribunaux français, sous réserve du respect du droit de l’Union européenne et des traités, et sans préjudice du recours à l’arbitrage. Le législateur a ainsi entendu soumettre les centrales d’achat européennes de la grande distribution à la réglementation française et lutter contre « l’évasion juridique » à l’international. Ceci concerne des règles aussi variées que l’obligation de communication des conditions générales de vente sur un support durable, l’obligation de conclure une convention unique annuelle dont le contenu est encadré, ou encore les règles présentées dans la suite du présent article.

Les fournisseurs ont maintenant une position renforcée dans le cadre des difficiles négociations annuelles avec les distributeurs. La loi Descrozaille permet en effet, à titre expérimental pour une durée de trois ans, à un fournisseur de mettre fin à la relation commerciale avec un distributeur si les négociations annuelles n’ont pas permis de conclure une convention dans les délais fixés. La rupture ne constituera pas une rupture brutale des relations commerciales, prohibée en droit français. A titre alternatif, le fournisseur peut choisir de maintenir le délai de préavis, le prix devant alors être fixé en tenant compte des conditions économiques du marché. Les parties pourront également saisir le Médiateur des Relations commerciales Agricoles ou le Médiateur des entreprises pour fixer les conditions du préavis.

Par ailleurs, entre autres nouveautés, la loi Descrozaille étend certaines obligations jusqu’à présent applicables uniquement aux produits alimentaires à l’ensemble des PGC.

L’encadrement des promotions actuellement applicable uniquement aux produits alimentaires est ainsi étendu aux PGC à compter du 1er mars 2024 et jusqu’au 15 avril 2026. Pour mémoire, les promotions sont plafonnées à 34 % du prix de vente au consommateur et à 25 % des ventes.

De même, l’interdiction de discrimination qui valait uniquement pour certains produits alimentaires dits « protégés » s’applique maintenant aussi aux PGC.

La loi Descrozaille prévoit encore l’extension aux PGC de l’obligation de mentionner, dans la convention unique annuelle,  l’ensemble des obligations réciproques des parties avec leur prix unitaire, selon le principe du « ligne à ligne ».

La loi Descrozaille a également introduit un plafond pour les pénalités à hauteur de 2 % de la valeur des produits commandés. Ce plafond ne concerne pas les seules pénalités logistiques (pénalités en lien avec les conditions de livraison de la marchandise) mais de façon plus large toutes les pénalités se rapportant à des inexécutions contractuelles. Compte tenu de l’importance des aspects logistiques dans la relation fournisseur–distributeur, la loi Descrozaille a introduit la convention logistique qui est désormais distincte de la convention unique annuelle et qui n’est pas soumise à la date butoir du 1er mars pour les négociations annuelles.

Il est impératif de prendre connaissance des modifications apportées par la loi Descrozaille dite « Egalim 3 » avant la négociation tarifaire annuelle pour 2024, dès lors que les produits ou services sont commercialisés sur le territoire français, et ce même si le contrat prévoit l’application d’un droit autre que le droit français.


 

DROIT COMMERCIAL – BREVE – La DGCCRF peut déréférencer une plateforme numérique dont le contenu est manifestement illicite

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a le pouvoir de déréférencer les plateformes numériques dont le contenu serait manifestement illicite. C’est ce qu’a confirmé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 octobre 2022.

Conseil constitutionnel, 21 octobre 2022, n° 2022-1016 QPC

Pour rappel, l’article L. 521-3-1 2° a) du Code de la consommation autorise la DGCCRF à ordonner le déréférencement d’une plateforme numérique dont le caractère est manifestement illicite.

La conformité de ce texte à la Constitution avait été critiquée devant le Conseil d’Etat dans une affaire concernant la société ContextLogic Inc., exploitante de la plateforme numérique Wish, qui avait fait l’objet d’une décision de déréférencement de la DGCCRF. La société ContextLogic Inc. considérait en effet que cette disposition portait une atteinte excessive à la liberté d’expression, de communication et d’entreprendre (voir notre article sur le sujet).

Le Conseil d’Etat avait alors décidé de transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel.

Par une décision du 21 octobre 2022, le Conseil constitutionnel a confirmé que l’article L. 521-3-1 2° a) du Code de la consommation était conforme à la Constitution. Cette décision confirme ainsi l’étendue du pouvoir de sanction de la DGCCRF, qui peut ordonner le déréférencement d’une plateforme numérique dont le contenu serait manifestement illicite.


 

DROIT COMMERCIAL - Rupture brutale des relations commerciales : modalités de la relation pendant le préavis

Les partenaires commerciaux doivent respecter, avant toute rupture d’une relation commerciale établie, une durée de préavis qui tient compte notamment de la durée de la relation commerciale. La relation commerciale se poursuit donc pendant la durée du préavis, et il se pose la question des conditions commerciales applicables pendant ce préavis.

La Cour de cassation a récemment répondu à cette question dans le cas où les conditions de la relation commerciale font l’objet d’une négociation annuelle entre les deux partenaires commerciaux.

7 décembre 2022 – Cour de cassation – Pourvoi n° 19-22.538

Dans un arrêt du 7 décembre 2022, n° 19-22.538 (publié au bulletin), la Cour de cassation énonce que « lorsque les conditions de la relation commerciale établie entre les parties font l’objet d’une négociation annuelle, ne constituent pas une rupture brutale [de la relation commerciale] les modifications apportées durant l’exécution du préavis qui ne sont pas substantielles au point de porter atteinte à l’effectivité de ce dernier. »

Par exemple, un changement d’approvisionnement aux mêmes conditions tarifaires, en l’occurrence l’obligation de passer commande à des grossistes au lieu d’acheter en direct au fabricant, ne caractérise pas une modification substantielle de la relation commerciale interdite durant le préavis.

La Cour de cassation ne se prononce toutefois pas directement (pour des raisons de preuve) sur la question de savoir s’il est licite ou non, pendant la durée du préavis, de diminuer les réductions accordées auparavant.

Cet arrêt est cohérent avec la jurisprudence déjà existante hors du cas spécifique de la négociation annuelle, qui refuse toute modification substantielle de la relation commerciale (voir par exemple Com. 24 juin 2020 18-25.517).

La loi Descroizaille, dite « Egalim 3 », qui vient d’être adoptée par le Parlement, va encore modifier ces règles, et permettre aux fournisseurs de mettre fin sans préavis à la relation commerciale avec un distributeur en l’absence de convention conclue au 1er mars.

Si une rupture de relation commerciale avec un partenaire de longue date se profile, il est donc toujours important de vérifier quels sont les droits et obligations de chaque partie pendant l’exécution du préavis.


 

DROIT COMMERCIAL – Point d’étape : trois ans après le vote de la loi AGEC

La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire n° 2020-105 du 10 février 2020 (Loi AGEC), votée il y a trois ans et déjà évoquée dans un autre de nos articles, a créé un certain nombre de dispositifs visant à diminuer l’impact environnemental des produits et mieux informer le consommateur. Nous faisons ici un point sur quelques dispositions.

  • L’obligation d’apposer un Logo Triman

Les entreprises mettant sur le marché des produits relevant d’une filière de responsabilité élargie du producteur (filière REP), sauf les emballages ménagers de boissons en verre, ont l’obligation d’apposer un logo dit Logo Triman et des consignes de tri sur leurs produits et emballages. Les filières REP sont définies à l’article L. 541-10-1 du Code de l’environnement, et incluent par exemple, sous certaines conditions, les équipements électriques et électroniques ou les emballages.

Le délai pour la mise en œuvre de cette obligation et pour l’écoulement des stocks existants dépend de la filière REP concernée. Pour la plupart des emballages ménagers, le délai d’écoulement des stocks s’est achevé le 9 mars 2023.

Le Logo Triman risque d’être remis en cause puisqu’il fait l’objet d’une mise en demeure de la Commission européenne contre la France. La Commission reproche en effet à la France de ne pas l’avoir notifiée avant l’adoption de la loi AGEC en 2020, et de n’avoir pas procédé à une analyse suffisante de la proportionnalité de cette mesure au regard du principe de libre circulation des marchandises. Il faut toutefois souligner que le logo Triman reste, à ce jour, pleinement en vigueur en France tant qu’aucune décision n’a été prise au sujet de la conformité avec le droit européen, ce qui peut prendre jusqu’à plusieurs années.

  • L’obligation d’adhérer à un éco-organisme

La loi AGEC a élargi le champ d’application de la REP en créant de nouvelles filières REP. Par exemple, la filière REP pour producteurs d’emballages servant à commercialiser les produits consommés ou utilisés par les professionnels ayant une activité de restauration a été récemment instituée par un décret n° 2023-162 du 7 mars 2023.

Il est rappelé que, que ce soit pour les produits entrant dans le cadre des filières REP existantes ou dans le cadre des nouvelles filières REP, tous les producteurs ou metteurs sur le marché de produits concernés en France doivent s’inscrire à un éco-organisme (entreprise de droit privé qui assume les obligations des producteurs et metteurs sur le marché contre paiement d’une contribution), ou prendre en charge eux-mêmes la collecte et le traitement des déchets. Cette obligation concerne même les producteurs ou metteurs sur le marché qui n’ont pas d’établissement en France.

Certains éco-organismes, après mise en demeure de se mettre en conformité, n’hésitent pas à assigner les producteurs ou metteurs sur le marché qui seraient récalcitrants.

  • Un label national anti-gaspillage alimentaire

Un label national anti-gaspillage alimentaire est en cours de mise en place. Le label sera obtenu en fonction d’une évaluation faite par un organisme certificateur, sur la base d’un référentiel. Le référentiel pour le secteur de la distribution (petites, moyennes et grandes surfaces, grossistes et métiers de bouche) vient d’être approuvé par le Gouvernement le 28 février 2023. Une enseigne de supermarchés française a récemment été la première à obtenir ce label national.

  • Un affichage environnemental pour les consommateurs

L’affichage environnemental vise à faire connaître aux consommateurs l’empreinte écologique d’un produit ou d’un service, par exemple par le biais d’une note affichée sur l’emballage. Cet affichage environnemental est actuellement volontaire mais pourra devenir obligatoire pour certaines catégories de biens et services. Une consultation publique portant sur les modalités de cet affichage environnemental, dans la perspective d’une application à tous secteurs, s’est achevée le 10 mars 2023.

  • La mise en place de consignes pour recyclage ou réemploi

La loi AGEC prévoyait l’organisation d’un débat sur la mise en place de dispositifs de consigne pour recyclage ou réemploi. Toutefois, le Sénat a déploré dans un communiqué du 7 mars 2023 que le Gouvernement ait décidé de démarrer la concertation avec les parties prenantes sans attendre la remise d’un bilan de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) pourtant prévu par la loi AGEC.

En conclusion, il est toujours important de maintenir une veille constante sur l’application progressive des dispositions de la loi AGEC !


 

DROIT COMMERCIAL – BREVE – Abus de position dominante dans le cadre de contrats de distribution

Dans un arrêt du 19.01.2023 (affaire C-680/20, Unilever Italia Mkt. Operations Srl c/ Autorità Garante della Concurenza e del Mercato), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé que le comportement des distributeurs d’un producteur en position dominante vis-à-vis des exploitants de points de vente peut être imputé à ce producteur sous certaines conditions.

L’entreprise Unilever, entre autres activités, confectionne des glaces des marques « Algida » et « Carte d’Or ». Ces glaces sont commercialisées sous conditionnement individuel au moyen d’un réseau de 150 distributeurs qui, eux-mêmes, revendent les glaces à des exploitants de points de vente au consommateur.

L’Autorité de concurrence italienne (AGCM) s’est intéressée plus particulièrement à l’imposition, non par Unilever elle-même, mais par les distributeurs d’Unilever, de clauses d’exclusivité aux exploitants des points de vente. L’AGCM avait considéré qu’Unilever et ses distributeurs formaient une seule entité économique, et qu’Unilever avait abusé de sa position dominante sur le marché en cause.

La question posée à la CJUE était de savoir si l’article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), relatif aux abus de position dominante, devait être interprété en ce sens que les agissements adoptés par des distributeurs faisant partie du réseau de distribution d’un producteur en position dominante peuvent être imputés à ce dernier et, dans l’affirmative, à quelles conditions.

La CJUE répond que les agissements adoptés par des distributeurs peuvent être imputés à un producteur en position dominante s’il est établi que ces agissements font partie d’une politique décidée unilatéralement par ce producteur et mise en œuvre par l’intermédiaire desdits distributeurs.

Dans le présent cas, les distributeurs ne seraient qu’un « instrument de ramification territoriale » de la politique commerciale du producteur et, donc, l’instrument par lequel le producteur a mis en œuvre sa pratique d’éviction des concurrents.

En pratique, Unilever avait fourni à ses distributeurs des contrats-types entièrement prérédigés et contenant les clauses d’exclusivité en question. Les distributeurs ne pouvaient modifier les contrats-types avant de les faire signer aux exploitants des points de vente, sauf accord exprès d’Unilever.

La portée la décision de la CJUE va au-delà des seuls réseaux de distribution : elle concerne aussi les services de franchisage, d’externalisation ou de sous-traitance de certaines phases de la distribution qui peuvent aussi être visés par l’article 102 TFUE.

Cet arrêt est une illustration de ce que la vérification de la conformité des pratiques de l’entreprise avec le droit de la concurrence ne s’arrête pas au périmètre des relations contractuelles de l’entreprise.


 

DROIT DU TRAVAIL – Forfait annuel en jours : nécessité d’un suivi effectif et régulier de la charge du travail du salarié

Dans un arrêt du 14.12.2022, la Chambre sociale de la Cour de cassation a souligné une nouvelle fois l’importance pour l’employeur d’assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés en forfait annuels en jours. Elle a en effet rappelé que l’accord collectif instaurant le forfait jours doit comporter des dispositions qui permettent d’assurer le respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires.

Cass. soc. 14.12.2022, n° 20-20.572 FS-B

A l’occasion de la contestation de la validité par un salarié de sa convention individuelle de forfait en jours, la Cour de cassation a rappelé que toute convention individuelle de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif (accord de branche ou d’entreprise) dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires. A défaut, la convention individuelle est nulle et le salarié peut notamment réclamer le paiement d’heures supplémentaires sur la base d’une durée hebdomadaire de travail de 35 heures, le délai de prescription étant de 3 ans.

La Cour de cassation a jugé insuffisantes les stipulations d’un accord collectif de branche relatives au mode de contrôle et de suivi de salariés en forfait annuel en jours, qui prévoyaient des modalités de contrôle habituelles (décompte des journées travaillées et de repos établi mensuellement par le salarié et validé par l’employeur, notamment).

La Cour a en effet estimé que l’accord collectif de branche contesté, « sans instituer de suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, n’[était] pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé ».

Il ne suffit donc pas que l’employeur respecte les dispositions de l’article L. 3121-60 du Code du travail qui dispose que « l’employeur s’assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail ».

Pour qu’une convention individuelle de forfait-jours soit valable, il faudra également que l’accord collectif comporte des stipulations mettant en place un suivi effectif et régulier de la charge de travail.

Conseil de GGV : Afin de réduire les risques financiers liés à la nullité des conventions individuelles de forfait-jours, nous conseillons aux entreprises de vérifier si les stipulations de l’accord collectif qui institue le dispositif de forfait annuel en jours sont conformes aux dispositions du Code du travail et à la jurisprudence de la Cour de cassation. En cas de lacunes dans un accord collectif de branche, la mise en place d’un accord d’entreprise devra être envisagée. Dans l’hypothèse où l’accord d’entreprise serait non-conforme, la conclusion d’un avenant à l’accord s’impose.


 

DROIT DU TRAVAIL – La menace de déposer plainte contre l’employeur peut fonder le licenciement disciplinaire du salarié ayant tenté de l’intimider

Par un arrêt du 07.12.2022, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’appel ayant jugé bien-fondé le licenciement d’un salarié qui avait menacé son employeur de déposer plainte contre lui, estimant que l’intéressé avait abusé de son droit d’agir en justice, en l’utilisant dans une logique d’intimidation.

Cass. soc., 07.12.2022, n° 21-19.280 F-D

La liberté d’agir en justice étant une liberté fondamentale, tout salarié est libre de porter plainte ou de témoigner en justice contre son employeur. Il en résulte qu’un licenciement prononcé pour ce motif est nul. Il en est de même, si le licenciement sanctionne l’éventualité d’une action en justice.

Dans cet arrêt, le salarié avait été licencié pour faute grave pour avoir menacé son supérieur de déposer plainte contre lui auprès des services de la police – menace dont ce même salarié avait déjà usé deux ans auparavant.

Confirmant l’appréciation des juges du fond qui ont considéré « que l’expression par le salarié de son souhait de déposer plainte contre son employeur ne résulte pas d’une authentique volonté d’agir en justice », la Cour de cassation estime que, puisqu’elle s’insérait dans un « contexte global de menaces à l’endroit de ses collègues et supérieurs, [une] logique d’intimidation dont le salarié avait déjà fait preuve par le passé, en relevant qu’il avait déjà précédemment usé de cette menace sans la mettre à exécution », la menace exprimée par le salarié constituait un abus de son droit d’agir en justice.

Mais attention, les éléments justifiant le licenciement en l’espèce ressortent du contexte particulier de cette affaire : la Cour s’appuie, pour caractériser l’abus de ce droit, notamment sur le fait que les menaces exprimées par le salarié avaient un caractère répétitif, que le salarié n’y donnait pas suite, et qu’elles s’inséraient dans une logique d’intimidation, attestant de la mauvaise foi du salarié.

Conseil de GGV : Avant de prononcer un licenciement disciplinaire à l’encontre d’un salarié menaçant d’agir en justice, l’employeur devra non seulement respecter le principe de proportionnalité dans son choix de la sanction, mais également s’assurer qu’il dispose suffisamment d’éléments établissant la mauvaise foi du salarié, pour réduire autant qu’il peut le risque que le licenciement soit considéré comme nul.

DROIT DU TRAVAIL – BREVE – Obligations d’information pour l’employeur

La France vient de transposer la directive européenne 2019/1152 sur les conditions de travail transparentes et prévisibles dans l’UE, au terme de la Loi n° 2023-171, adoptée le 28.02.2023. Cette Loi oblige les employeurs à fournir certaines informations aux salariés.

Dans le cadre de la conclusion d’un contrat de travail, les employeurs sont tenus, en vertu de l’article L. 1221-5-1 du Code du travail, de remettre aux salariés des informations relatives à la relation de travail. La liste des informations que les salariés doivent recevoir par écrit lors de leur embauche a été élargie par la loi nouvelle. Le contenu des informations à communiquer sera précisé par un décret à venir. Les nouvelles obligations d’information n’entreront en vigueur qu’après sa publication.

La loi prévoit que les salariés n’ayant pas reçu ces informations peuvent saisir le juge compétent, à condition d’avoir préalablement mis en demeure l’employeur de leur communiquer les informations obligatoires.

En outre, les salariés dont le contre de travail est en cours peuvent demander à leur employeur de leur fournir les informations requises ou de compléter les informations déjà communiquées.

Le législateur a par ailleurs profité de cette loi de transposition de la directive pour apporter quelques autres modifications au Code du travail. Il a notamment prévu que les salariés en contrat à durée déterminée ou en intérim, justifiant d’une ancienneté continue d’au moins six mois, doivent être informés, à leur demande, des postes à durée indéterminée à pourvoir.


 

DROIT DU TRAVAIL – BREVE – Allègement des formalités relatives au détachement en France

Par décret n° 2023-185 du 17.03.2023, certaines formalités à respecter en cas de détachement de travailleurs en France ont été allégées, à compter du 30.03.2023. Ainsi, le contenu de la déclaration préalable au détachement est révisé et le nombre des documents devant être présentés en cas de contrôle par les autorités françaises se trouve réduit.

Dans la déclaration, qui doit être déposée avant chaque détachement sur le plateforme « SIPSI » du gouvernement français, ne sont désormais plus à mentionner : la nature du matériel ou des procédés de travail dangereux utilisés pendant le détachement, la date de la signature du contrat de travail du salarié détaché, les heures auxquelles commence et finit le travail ainsi que les heures et la durée de repos du salarié détaché et les modalités de la prise en charge par l’employeur des frais de voyage, de nourriture et d’hébergement.

La liste des documents que l’employeur étranger doit conserver et tenir à disposition de l’inspection du travail ne mentionne plus les documents attestant du droit applicable au contrat entre l’employeur et son cocontractant établi ou exerçant en France, le nombre de contrats exécutés et du montant du chiffre d’affaires réalisés par l’employeur dans son pays d’établissement et sur le territoire français.


 

COMPLIANCE – Fusions-acquisitions : les enjeux des vérifications des programmes de conformité

Dans le cadre de fusions-acquisitions, vérifier l’existence et la robustesse des dispositifs de conformité de la société cible permet de mieux connaître les risques financiers, juridiques, opérationnels et de réputation.

Une opération de fusion-acquisition comporte toujours des risques, en raison de l’insécurité qui en découle. Connaître au mieux la société cible permet d’évaluer les risques inhérents à une fusion-acquisition et d’assurer la conformité à la législation en vigueur, que ce soit en matière d’anticorruption, devoir de vigilance ou bien d’autres.

Pourquoi vérifier les programmes de conformité lors d’une fusion-acquisition ?

D’un point de vue financier, vérifier les programmes de conformité existants permet non seulement d’anticiper les risques liés à des sanctions et les éventuelles enquêtes internes en découlant, mais également d’évaluer les coûts de mise à niveau du programme de conformité de la cible, après son acquisition/absorption/fusion et le retour sur investissement. Les risques existants peuvent ainsi être un levier de négociation sur le prix de l’opération. En outre, les vérifications opérées permettent à l’acquéreur de mieux connaître le risque d’engagement de sa responsabilité, qu’elle soit administrative, civile ou, selon la juridiction, pénale. Enfin, les vérifications peuvent conduire à renoncer à l’opération si les risques sont trop élevés.

A quel stade vérifier les programmes de conformité ?

Les vérifications peuvent être effectuées à différentes étapes de l’opération. Les premières vérifications peuvent avoir lieu avant la conclusion du contrat (signing), afin de pouvoir mener les premières analyses, par exemple sur les activités et l’environnement économique ou les principaux tiers. A ce stade, il est souvent difficile d’obtenir l’intégralité des informations nécessaires, le cédant pouvant refuser de les fournir. L’analyse de la cible peut être approfondie entre le signing et la signature de la documentation permettant la réalisation de l’opération (closing), par exemple dans le but d’identifier les tiers les plus à risque au regard de la cartographie des risques. Après la réalisation de l’opération et indépendamment du degré d’analyse mené en amont, des vérifications doivent avoir lieu afin d’intégrer la cible dans le dispositif de conformité de la société acquéreuse ou absorbante, à travers un audit.

Deux exemples d’actualités permettant d’illustrer l’importance de la due diligence en matière de conformité

En France, en matière d’anticorruption, l’article 17 de la Loi Sapin 2 exige des entreprises qui y sont soumises de mettre en place un dispositif de prévention et de détection de la corruption, mais n’impose pas d’évaluer une société cible. Depuis un arrêt du 25 novembre 2020, en cas de fusion-absorption entre sociétés anonymes ou sociétés par actions simplifiées, une société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits ayant été commis par la société absorbée avant la fusion ou absorption.

En Allemagne, depuis le 1er janvier 2023, la loi sur le devoir de diligence (Lieferkettensorgfaltspflichtengesetz, ci-après LkSG) oblige les entreprises à prévenir et minimiser les risques d’atteintes aux droits humains et à l’environnement. En cas de violation de la LkSG, les entreprises peuvent encourir des sanctions administratives allant jusqu’à 2% du chiffre d’affaires annuel global. En cas d’acquisition d’une cible, les obligations découlant de la LkSG s’appliquent dès l’acquisition.

Conseil de GGV : Bien connaître le niveau de conformité de la cible est une mesure de prudence indispensable lorsqu’est envisagée une acquisition ou une fusion. Notre équipe compliance est en mesure de procéder aux due diligence et d’évaluer le niveau d’intégrité et de maturité de la cible, en termes de compliance.


 

COMPLIANCE – Première décision en matière de devoir de vigilance en France

Le 28.02.2023, le Tribunal Judiciaire de Paris statuant en référé a rendu une première décision sur l’application de la loi sur le devoir de vigilance.

En France, la loi du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance impose à certaines grandes sociétés de prévenir et minimiser les risques envers les droits humains, l’environnement, la santé et la sécurité des personnes. Pour ce faire, les sociétés sont tenues de prendre des mesures raisonnables et d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance y afférent. C’est l’adoption d’un plan de vigilance conforme à la loi que les associations ont demandé au juge d’enjoindre à TotalEnergies. Elles ont également demandé, à titre conservatoire, la suspension des travaux afférents aux projets pétroliers Tilenga et EACO en Ouganda et Tanzanie. Les demandes des associations ont été jugées irrecevables et le juge des référés s’est estimé incompétent pour trancher le litige.

Il est intéressant de noter que le juge des référés rappelle le texte de la loi selon lequel le plan a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société. Il en déduit que le plan de vigilance doit être élaboré dans le cadre d’une co-construction et d’un dialogue, permettant de mieux définir le périmètre de vigilance et de réduire les risques de contentieux. Selon le juge, ce processus collaboratif va de pair avec le mécanisme de la mise en demeure qui doit se faire préalablement à toute saisine du juge. Il reproche ainsi aux associations de ne pas avoir régulièrement mis en demeure TotalEnergies. En effet, il a considéré que les demandes présentées devant lui étaient différentes de celles de la mise en demeure envoyée en 2019, les demandes portant sur le plan de vigilance 2021 n’ayant pas fait l’objet préalablement d’une mise en demeure.

TotalEnergies ayant publié un plan de vigilance portant les cinq piliers de la loi devoir de vigilance, le juge a considéré que ce plan était suffisamment détaillé et ne pouvait pas être considéré comme sommaire.

Enfin, sans surprise, le juge des référés s’est estimé incompétent pour juger du fond, arguant que de très nombreuses pièces contradictoires ont été versées aux débats et qu’aucune règlementation précisant les contours d’une société vigilante existait.

Par ailleurs, contrairement à l’Allemagne, il n’existe en France aucun organisme indépendant pour contrôler ou surveiller l’application de la loi. Le juge se restreint alors à opérer un contrôle sur le caractère raisonnable des mesures de vigilance, notion qu’il considère comme imprécise, floue et souple. Le juge souligne par ailleurs que le décret d’application de la loi sur le devoir de vigilance n’est pas encore paru, alors qu’il pourrait apporter des précisions sur le contenu de ces mesures de vigilance.

De nombreuses procédures judiciaires étant en cours, on peut s’attendre à de nouvelles décisions de ce type.


 

COMPLIANCE - Recommandations du BAFA sur l’adéquation des mesures mises en œuvre dans le cadre de l’application de la Loi allemande sur la diligence

Le 01.01.2023, la Loi allemande sur la diligence (Lieferkettensorgfaltspflichtengesetz) (LkSG) est entré en vigueur. Dans la dernière LFA, nous avons fait une synthèse de trois guides de l’Office fédéral de l’économie et du contrôle des exportations (BAFA), autorité en charge du contrôle de l’application de la LkSG. Le BAFA a récemment publié un guide sur la pertinence des mesures mises en œuvre par les entreprises.

La LkSG impose aux entreprises qui y sont soumise de prendre des mesures afin de prévenir ou minimiser les risques d’atteinte aux droits humains et à l’environnement ou de mettre fin à des violations qui se seraient déjà produites. Selon le § 3 alinéa 1 LkSG, ces obligations de diligence doivent être respectées de manière appropriée. Dans son dernier guide (Handreichung zum Prinzip der Angemessenheit nach den Vorgaben des Lieferkettensorgfaltspflichtengesetzes), le BAFA approfondit la notion de la pertinence des mesures, pour chacun des critères prévus au § 3 alinéa 2 LkSG pour la définir.

Selon ce guide, le critère du type et de l’étendue de l’activité de l’entreprise porte sur la taille de l’entreprise, sa présence régionale ou internationale, la composition et la nature de ses produits et prestations de service, la diversité de ses prestations et relations d’affaires ainsi que de la fréquence de l’occurrence des risques.

Celui de la capacité d’influence sur la personne susceptible d’être l’auteur direct de l’atteinte aux droits humains ou à l’environnement dépend de l’occurrence du risque dans le champ d’activité propre ou chez un fournisseur direct ou indirect de l’entreprise soumise.

Celui de la gravité de l’atteinte aux droits humains et à l’environnement et sa réversibilité ainsi que la probabilité de son occurrence prend en compte le degré de l’atteinte, le nombre des personnes ou de la taille de la zone environnementale touchée, la réversibilité ou non de l’atteinte ainsi que la probabilité qu’un risque aboutit à une atteinte.

Celui de la nature de la contribution de l’entreprise au risque d’atteinte aux droits humains ou à l’environnement dépend de la contribution directe ou indirecte au risque (seul ou avec d’autres acteurs dans le champ d’activité propre ou en permettant à un tiers d’agir).

Le BAFA souligne que ces critères permettent de tenir compte des différences entre les entreprises quant aux ressources, activités et chaînes d’approvisionnement.

Conseil de GGV : Les entreprises disposent d’une grande marge de manœuvre pour décider de la façon dont elles mettent en œuvre les obligations de diligence et de la priorisation des risques. Notre équipe compliance vous conseille dans la mise en place et l’évaluation de votre plan de vigilance.

DROIT IMMOBILIER - Le propriétaire d’un terrain exploité en tant qu’ICPE (installations classées pour la protection de l'environnement) n’est responsable des déchets que dans des cas restreints

Dans un arrêt du 18 octobre 2022, la Cour administrative de Douai (CAA de Douai) a confirmé la jurisprudence constante selon laquelle c’est à l’exploitant, même en cas d’insolvabilité, de répondre au titre de la police des déchets.

CAA Douai 18.10.2022, n° 21DA02096, Société OLC Activités

Dans cette affaire, une société civile immobilière (SCI) louait un terrain à une société exploitante qui y exerçait une activité ICPE (produits dangereux). La société exploitante a été placée en liquidation judiciaire. La préfète a alors mis en demeure la société propriétaire d’éliminer les fûts contenant des produits dangereux présents sur le site et de consigner le coût correspondant à l’élimination des déchets.

Les articles L. 541-2 et L. 541-3 du Code de l’environnement disposent en effet que « tout producteur et détenteur de déchets » doit en être responsable et en assurer la gestion jusqu’à leur élimination. Si ces déchets sont abandonnés ou déposés contrairement à ces dispositions, il peut être mis en demeure.

La SCI a alors formé un recours contre l’arrêté de la préfète en contestant sa mise en responsabilité des déchets produits sur son terrain par la société exploitante. Le tribunal administratif de Rouen a rejeté la demande. La société propriétaire a alors interjeté appel de la décision.

La CAA de Douai a ensuite annulé le jugement du tribunal administratif ainsi que l’arrêté de la préfète. La Cour a estimé que les personnes responsables des déchets selon l’article L. 541-2 et L. 541-3 étaient les « seuls producteurs ou autres détenteurs de déchets ». Il en résulte que la responsabilité du propriétaire du terrain est subsidiaire et il ne peut être recherché que s’il est établi que le détenteur des déchets est inconnu.

La CAA a jugé que la préfète aurait dû mettre en demeure la société exploitante car celle-ci existait toujours lors du prononcé de l’arrêté. Le détenteur des déchets était en effet connu et existait lors du prononcé de l’arrêté et du jugement du tribunal administratif. Elle n’a cessé d’exister que plus tard, lors de la clôture de la liquidation judiciaire.

Pour résumer : Comme la société exploitante existait lors du prononcé de l’arrêté et du jugement, elle est responsable au titre de la police des déchets. Or, comme elle était insolvable, c’était à la DREAL (Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement ) de gérer en l’espèce la gestion des déchets et la remise en état du site. Le propriétaire n’est donc responsable au titre de la police des déchets que dans des cas restreints (négligence vis-à-vis des abandons de déchets sur son terrain et si l’exploitant du terrain est inconnu).


 

DROIT DE LA SANTE – Suppression des produits cosmétiques et des produits de tatouage de la liste des produits de santé à partir du 1er janvier 2024

L’article 205 de la loi n°2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 supprime deux catégories de produits de la liste des produits de santé de l’article L. 5311-1 du Code de la santé publique. Quelles sont les conséquences ?

A partir du 1er janvier 2024, les produits cosmétiques et les produits de tatouage ne seront plus des produits de santé au sens de l’article L. 5311-1 du Code de la santé publique.

Ce changement de qualification a pour conséquence majeure de soustraire ces deux catégories de produits à la surveillance de l’Autorité Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé (ANSM). Ils seront désormais soumis au contrôle de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF). En revanche, l’Autorité Nationale de Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (ANSES) reste compétente pour assurer la vigilance de ces produits (notamment la cosmétovigilance).

Actuellement et jusqu’à cette date, l’ANSM continue de prendre des décisions, mesures et injonctions pour ces deux catégories de produits.

Jusqu’au 31 décembre 2023, le Gouvernement a le pouvoir de prendre des ordonnances afin de mettre en place un dispositif de certification pour les établissements fabriquant des produits cosmétiques. Il pourra également rectifier les éventuelles incohérences de la loi, laquelle opère de nombreux renvois aux textes existants.

GGV vous conseille : si vous souhaitez connaître vos obligations en matière de produits de santé, n’hésitez pas à contacter GGV !


 

DROIT DE LA SANTE – Le fondateur d’un centre de soins esthétiques condamné pour complicité d’exercice illégal de la médecine

Dans un arrêt du 31 janvier 2023, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé que les actes de cryolipolyse et de micro-needling étaient des actes médicaux, et a condamné le fondateur d’un centre de soins esthétiques pour complicité d’exercice illégal de la médecine.

Crim. 31 janv. 2023, n°22-83.399

Dans cette affaire, quatre patients d’un centre de soins esthétiques avaient porté plainte à la suite de lésions dues à des actes de cryolipolyse et de micro-needling prodigués par les salariés du centre. La cour d’appel ayant condamné la gérante du centre de soins esthétiques pour exercice illégal de la médecine et le fondateur du centre pour complicité, le fondateur du centre a contesté cette décision et formé un pourvoi en cassation.

Deux questions étaient posées à la Cour de cassation :

  • Les actes de cryolipolyse et de micro-needling, qui n’ont qu’un objectif esthétique, sont-ils des actes médicaux réservés aux seuls médecins ?
  • Le cas échéant, le fondateur du centre de soins esthétiques peut-il être tenu complice du délit d’exercice illégal de la médecine ?

L’élargissement de la notion d’acte médical réservé aux médecins

Les actes de cryolipolyse et de micro-needling ne sont pas visés spécifiquement par la liste des actes médicaux réservés aux médecins, spécifiée à l’arrêté du 6 janvier 1962.

Par cet arrêt, la Cour de cassation confirme que les actes de cryolipolyse sont assimilés aux actes médicaux de cryothérapie, visés par ledit arrêté, et donc réservés aux seuls médecins.

Par ailleurs, elle approuve le raisonnement de la cour d’appel, qui a qualifié le micro-needling d’acte médical au sens de l’arrêté du 6 janvier 1962.

Ainsi, peu importe l’objectif esthétique, les actes de cryolipolyse et de micro-needling sont des actes médicaux réservés aux seuls médecins.

La qualification de la complicité du fondateur du centre

Pour retenir la complicité du fondateur de centre de soins esthétiques, la cour d’appel devait apprécier si ce dernier avait contribué volontairement, par aide ou par assistance, à la réalisation de l’infraction (article 121-7 du Code pénal).

En l’espèce, le fondateur du centre de soins esthétiques, lui-même médecin, s’était vu reprocher plusieurs faits : 1/ il avait vendu à la gérante du centre de soins esthétiques un appareil non bridé de cryolipolyse réservé aux médecins ; 2/ il avait vendu des stylos perforants et assuré le suivi des patients présentant des dommages ; 3/ il avait effectué des actions de formation de ces appareils aux salariés du centre de soins esthétiques.

Par ces actions, le fondateur du centre de soins esthétiques a participé à l’exécution d’actes médicaux effectués par des personnes non titulaires d’un doctorat en médecine. Il a donc été condamné du chef de complicité d’exercice illégal de la médecine à cinq ans d’interdiction professionnelle, ainsi qu’au paiement de 30.000 € d’amende et au paiement de dommages-intérêts.

GGV vous informe : fondateur, dirigeant ou exploitant de centre de soins, veillez à couvrir votre responsabilité civile et pénale !


 

PROTECTION DES DONNEES A CARACTERE PERSONNEL – Panorama d’actualité du premier trimestre 2023

Précision des informations à fournir en réponse à une demande au titre du droit d’accès

Le 12 janvier 2023, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a jugé que les responsables de traitement, lorsqu’ils répondent à une demande d’accès d’une personne concernée en vertu de l’article 15, paragraphe 1, point c du RGPD, n’ont pas le choix d’indiquer les destinataires spécifiques ou uniquement les catégories de destinataires auxquels les données à caractère personnel ont été ou seront divulguées. Selon la CJUE, l’indication des destinataires spécifiques est toujours nécessaire, à condition que la personne concernée le souhaite, que cette indication ne soit pas impossible pour le responsable du traitement et qu’il n’y ait pas d’abus du droit d’accès (CJUE, 12/01/2023, affaire C-154/21).

La précision apportée par la Cour peut nécessiter des adaptations au niveau des entreprises. En effet, la réponse à une demande de droit d’accès doit en principe être traitée dans un délai très court (1 mois à compter de la réception de la demande), ce qui implique la mise en place d’une procédure de gestion des droits, mais aussi une structuration de l’information en amont. Sachant en particulier que tous les prestataires auxquels une entreprise fait appel peut potentiellement être considérés comme « destinataires de données », il s’agira de documenter soigneusement les flux de données entre l’entreprise et ses prestataires éventuels.

Publication par la CNIL de son guide sur la protection des données dans le cadre du recrutement

Le 30 janvier 2023, la CNIL a publié son très attendu guide sur la protection des données à caractère personnel dans le cadre du processus de recrutement. Partant du principe qu’un processus de recrutement implique nécessairement le traitement d’un nombre important de données personnelles sur les candidats, la CNIL propose un guide pour accompagner les acteurs du recrutement dans leur mise en conformité. Ce guide, composé de 19 fiches pratiques, offre tout d’abord un rappel des fondamentaux en matière de règlementation sur la protection des données personnelles dans le domaine du recrutement (fiches 1 à 10), puis aborde (sous forme de questions-réponses) la question de l’utilisation des nouvelles technologies par les recruteurs (fiches 11 à 14) ainsi que la question sensible de la discrimination (fiche 17).

Enfin, la CNIL met à disposition des acteurs du recrutement un questionnaire d’auto-évaluation au RGPD.

Publication par la CNIL de son guide de la sécurité des données personnelles

Destiné à tous les acteurs traitant des données à caractère personnel, ce guide rappelle les précautions élémentaires à mettre en œuvre et précise les mesures destinées à renforcer la protection des données. Ce guide est composé de 17 fiches thématiques, abordant différentes thématiques de la sensibilisation des utilisateurs jusqu’au chiffrement en passant notamment par la gestion des habilitations, les sauvegardes, l’encadrement des développements informatiques ou encore la protection des locaux. Les principales nouveautés par rapport à son précédent guide portent sur une mise à jour des fiches relatives à l’authentification des utilisateurs (cette fiche prend désormais en compte les nouvelles recommandations de la CNIL relatives aux mots de passe et autres secrets partagés), au traçage des opérations et à la gestion des incidents, la fiche sur l’encadrement des développements informatiques.

Bilan de l’action répressive de la CNIL en 2022

Toujours au mois de janvier, la CNIL a présenté le bilan de son action répressive 2022. Il en ressort qu’en 2022, la CNIL a prononcé 21 sanctions pour un montant total de 101.277.900 euros.

17 des 21 décisions de sanctions ont été rendues dans le cadre de la procédure de sanction simplifiée mise en place en 2022, qui permet à la CNIL de traiter des dossiers ne présentant pas de difficulté particulière.

En ce qui concerne les manquements sanctionnés, la majorité des cas concernaient le défaut d’information aux personnes, le non-respect de leurs droits et le défaut de coopération de la CNIL. Par ailleurs, un tiers des sanctions portaient sur un manquement en lien avec la sécurité des données personnelles. La CNIL a en outre sanctionné 4 entreprises en raison de leur mauvaise gestion des cookies et autres traceurs, et 3 entreprises ont été sanctionnées pour des manquements en lien avec la prospection commerciale.

Il est intéressant de noter que les décisions ont été rendues à l’encontre des entreprises exerçant dans des secteurs d’activité variés (professions médicales, notaires, enseignement universitaire, location de véhicules, fourniture d’énergie, fourniture d’accès à internet, entretien et réparation de véhicules automobiles, édition de logiciels applicatifs, développement de jeux mobiles, hôtellerie, restauration, commercialisation de produits électroniques grand public, etc.).

Thématiques prioritaires des contrôles de la CNIL 2023

Pour l’année 2023, la CNIL a annoncé que les thématiques de contrôles prioritaires seraient les caméras augmentées, les applications mobiles, les fichiers bancaires et les dossiers patients.

Bien évidemment la CNIL pourra être amenée à contrôler et sanctionner des entreprises ayant commis des manquements dans d’autres domaines. Ceci vaut d’autant plus que lorsqu’elle ne se saisit pas elle-même d’une problématique particulière, car la CNIL agit généralement sur dénonciation.

Nouveau moyen de saisine de la CNIL : mise en place d’un dispositif d’alerte

Depuis fin 2022, cette dénonciation peut ressortir d’une plainte émanant d’une personne personnelle concernée, mais aussi d’un signalement fait à la CNIL par le biais du dispositif d’alerte mis en place en application de la loi Sapin 2 modifiée et de son décret d’application du 3 octobre 2022. Avec ce nouveau dispositif, toute personne physique pourra signaler à la CNIL un manquement relevant de la règlementation en matière de protection des données personnelles, y compris en matière de cybersécurité.


 

LFA version Allemande
L'Équipe Franco-Allemande de GGV