Edition spéciale LFA Covid-19 : Droit commercial I Mise à jour le 22 avril 2020

Face à la propagation du COVID-19 ou Coronavirus, nombreuses sont les entreprises à s’interroger sur les actions qu’elles peuvent mettre en œuvre pour faire face aux conséquences sur la continuité de leur activité économique et l’exécution des contrats en cours.

Sont présentées dans le présent document les différentes questions qui nous ont été posées par nos clients et dont nous partageons les réponses que nous y avons apportées.

Nous attirons votre attention sur le fait que les réponses ci-dessous fournies sont données à titre indicatif et non définitif et ne sauraient constituer une consultation juridique engageant la responsabilité de GGV Avocats – Rechtsanwälte.

Ces réponses seront régulièrement mises à jour en fonction des annonces du gouvernement, et de la publication des différents textes législatifs et/ou réglementaires.

Actualités France

  1. Circulation de biens
  2. Poursuite de l’activité économique
  3. Pénurie et baisse de production
  4. Force Majeure et Imprévision

Actualités France

Circulation de biens

Quel impact de l’épidémie COVID-19 sur la circulation des biens ?

Il convient de distinguer entre la circulation des biens à l’intérieur de l’UE (Union européenne) et la circulation des biens entre l’UE et des pays tiers. Une attention particulière doit être apportée à la circulation du matériel sanitaire.

Dans les deux cas, aucune mesure de type “quarantaine” n’est prévue à ce stade au niveau de l’UE pour la circulation de marchandises (y compris celles issues de pays tiers à l’UE). La libre circulation des biens à l’intérieur de l’UE doit, pour la Commission européenne, rester assurée autant que possible, notamment pour ce qui concerne les biens essentiels, liés à la santé ou périssables tels que la nourriture, et sauf justification contraire. Des contrôles sont par exemple possibles mais la Commission européenne recommande qu’ils n’empêchent pas le fonctionnement des chaînes d’approvisionnement. 

Il s’agit cependant seulement de lignes directrices de la Commission européenne (“Lignes directrices relatives aux mesures de gestion des frontières afin de protéger la santé et de garantir la disponibilité des biens et des services essentiels”) en date du 16 mars 2020 et il convient de rester attentif aux mesures prises par chaque Etat membre ou non-membre sur le territoire duquel transitent des marchandises ; la situation est susceptible d’évoluer très rapidement.

Dans le même ordre d’idée, la Commission rappelle qu’il est nécessaire de permettre une circulation en toute sécurité des travailleurs du secteur des transports, y compris les conducteurs de camions et de trains, les pilotes et le personnel navigant, pour garantir la circulation adéquate des marchandises et des professionnels essentiels.

Aucune certification supplémentaire ne devrait être imposée aux marchandises circulant légalement dans le cadre du marché unique de l’UE selon les lignes directrices de la Commission.

Circulation du matériel sanitaire 

Restriction sur l’exportation d’équipements de protection individuelle : règlement d’exécution (UE) 2020/402 publié le 15 mars 2020 interdit l’exportation en-dehors de l’Union (sauf les Etats tiers associés tels que le Royaume-Uni, la Norvège, la Suisse etc.) d’un certain nombre d’équipements de protection individuelle (par exemple des masques et gants), qu’ils soient ou non originaires de l’UE, à moins qu’une autorisation d’exporter ne soit préalablement obtenue auprès d’un État membre. Le règlement s’applique pendant une période de six semaines à compter du 15 mars 2020, soit jusqu’au 26 avril 2020. Cette politique est susceptible d’être prolongée ou renforcée à tout moment.

En France, c’est le ministère de l’Économie et des Finances, Direction générale des entreprises (DGE) Service des biens à double usage qui traite des demandes d’autorisation d’exportation des équipements de protection. 

S’agissant de l’importation, des mesures de franchise des droits de douane et de TVA à l’importation, dans certaines conditions, pour certains matériels sanitaires, ont été adoptées. Elles s’appliquent à des importations par les organisations publiques, les organisations agréées par la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) ou les organisations d’aide humanitaire autorisées, et ceci du 30 janvier 2020 (possibilité de demande de remboursement) jusqu’au 31 juillet 2020, sauf prolongation.

De plus, selon un arrêté du 30 mars 2020 modifié par un arrêté du 6 avril 2020, pris en application de la loi de finances rectificative pour 2020 du 23 mars 2020, une exonération d’octroi de mer pour certains matériels sanitaires a été mise en place.

Concernant les normes de sécurité des masques importés, jusqu’au 31 mai 2020, la DGDDI permet d’importer les masques sans marquage CE sous réserve que l’importateur établisse qu’il respecte les normes européennes ou certaines normes étrangères reconnues comme équivalentes, au moment de leur importation. Dans ce cas, les opérateurs sont incités à transmettre à leur déclarant en douane les dossiers techniques de ces masques permettant d’établir leur conformité aux normes européennes ou reconnues équivalentes.

Sources: 

European Commission, COVID-19, Guidelines for border management measures to protect health and ensure the availability of goods and essential services dated 16 March 2020

Règlement d’exécution (UE) 2020/402 de la Commission du 14 Mars 2020 soumettant l’exportation de certains produits à la présentation d’une autorisation d’exportation

Direction générale des douanes et droits indirects – « Covid-19 : Importation en franchise de droits et taxes de matériel sanitaire »

Direction générale des douanes et droits indirects – « Covid-19 : Mesures destinées à assurer la fluidité des importations des masques et matériels médicaux – Équivalences de normes »

Poursuite de l’activité économique

Quels sont les secteurs d’activités pouvant continuer leur activité pendant la crise COVID-19 et dans quelles conditions ? 

 

  • Le principe : La poursuite de l’activité économique dans le respect des mesures de confinement 

 

Le 23 mars 2020, le Gouvernement a pris un décret prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de COVID-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Ce décret, qui fait suite au décret du 16 mars 2020 et l’abroge, interdit jusqu’au 31 mars 2020 le déplacement de toute personne hors de son domicile à l’exception des déplacements pour les motifs suivants, dans le respect des mesures générales de prévention de la propagation du virus et en évitant tout regroupement de personnes :

“1° Trajets entre le domicile et le ou les lieux d’exercice de l’activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d’être différés ;
2° Déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l’activité professionnelle et des achats de première nécessité dans des établissements encore autorisées ;
3° Déplacements pour motifs de santé à l’exception des consultations et soins pouvant être assurés à distance et, sauf pour les patients atteints d’une affection de longue durée, de ceux qui peuvent être différés ;
4° Déplacements pour motif familial impérieux, pour l’assistance des personnes vulnérables et pour la garde d’enfants ;
5° Déplacements brefs, dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile, liés soit à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d’autres personnes, soit à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile, soit aux besoins des animaux de compagnie ;
6° Déplacements résultant d’une obligation de présentation aux services de police ou de gendarmerie nationales ou à tout autre service ou professionnel, imposée par l’autorité de police administrative ou l’autorité judiciaire ;
7° Déplacements résultant d’une convocation émanant d’une juridiction administrative ou de l’autorité judiciaire ;
8° Déplacements aux seules fins de participer à des missions d’intérêt général sur demande de l’autorité administrative et dans les conditions qu’elle précise.” (https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041746694&categorieLien=id)

Le gouvernement est venu préciser, par différentes interventions dans les médias, la philosophie et la portée des mesures de restriction mises en place pour lutter contre l’épidémie. Il n’a toutefois pas établi de liste exhaustive des activités dites essentielles à l’économie de la Nation. 

Le Gouvernement, a expressément rappelé que « les mesures de confinement ne doivent pas se traduire par un arrêt de l’activité économique du pays mais par un aménagement de celle-ci pour
faire face à la crise sanitaire. » (https://www.economie.gouv.fr/files/files/2020/coronavirus_faq_entreprises.pdf)

Ainsi, les activités qui devront être suspendues pendant la période de confinement sont celles qui impliquent des regroupements de population et qui ne présentent pas de caractère essentiel à la vie de la Nation, car elles sont incompatibles avec la lutte contre la propagation du virus. 

Pour les autres secteurs, le principe est la continuité de l’activité, en appliquant les mesures adaptées (voir FAQ GGV Droit social). 

Selon le Gouvernement, le télétravail est la règle impérative pour tous les postes qui le permettent. 

Lorsque le télétravail n’est pas possible, les salariés sont tenus de venir travailler dès lors que l’organisation de l’entreprise respecte les règles de distanciation impératives dans ce contexte de crise sanitaire. 

En particulier, les entreprises et les salariés participant à des activités économiques considérées comme essentielles sont tenus de poursuivre leur activité.  

Bruno Lemaire, le Ministre de Finance et Economie, a cité comme secteur dit essentiel bien évidemment l’agro-alimentaire, mais également, l’énergie, les transports, les télécoms, la propreté, une partie de l’administration locale ou nationale. Dans la FAQ mise en ligne par le Gouvernement, la chimie et les produits de santé sont également cités. A titre d’exemple, le Gouvernement précise qu’une entreprise de maintenance concourant à la sûreté d’un site industriel ne saurait stopper son activité, de même que le fournisseur d’un OIV (Opérateurs d’importance vitale : il s’agit là d’environ 260 entreprises publiques et privées répertoriées par l’État dont l’identité relève du secret-défense), ou d’un hôpital.

 

  • Les exceptions : Certains Etablissements recevant du public (ERP) restent ouverts malgré le confinement

Le gouvernement a pris un arrêté le 14 mars 2020 complété le 15 mars 2020 définissant quels sont les ERP qui peuvent poursuivre leur activité sans restriction et continuer à recevoir du public, malgré les mesures de confinement (https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2020/3/14/SSAZ2007749A/jo/texte et https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2020/3/15/SSAS2007753A/jo/texte ).  

Il s’agit des entreprises ayant pour activité [1]

    • L’entretien et la réparation de véhicules automobiles, de véhicules, engins et matériels agricoles,
    • Le commerce d’équipements automobiles,
    • Le commerce et la réparation de motocycles et de cycles, 
    • La fourniture nécessaire aux exploitations agricoles,
    • Le commerce de détail de produits surgelés,
    • Le commerce d’alimentation générale,
    • Les supérettes, 
    • Les supermarchés,
    • Les magasins multi-commerces,
    • Les hypermarchés, 
    • Les commerces de détail de fruits et légumes en magasins spécialisés, 
    • Les commerces de détail de viandes et de produits à base de viande en magasins spécialisés, 
    • Les commerces de détail de poissons, crustacés et mollusques en magasins spécialisés, 
    • Les commerces de détail de pain, pâtisseries et confiseries en magasins spécialisés, 
    • Les commerces de détail de boissons en magasins spécialisés, 
    • Les autres commerces de détail alimentaires en magasins spécialisés, 
    • Les distributions alimentaires assurées par des associations caritatives, 
    • Les commerces de détail de carburants en magasins spécialisés, 
    • Les commerces de détail d’équipements de l’information et de la communication en magasins spécialisés, 
    • Les commerces de détail d’ordinateurs, d’unités périphériques et de logiciels en magasins spécialisés, 
    • Les commerces de détail de matériels de télécommunication en magasins spécialisés, 
    • Les commerces de détail de matériaux de construction, quincaillerie, peintures et verres en magasins spécialisés, 
    • Les commerces de détail de journaux et papeterie en magasins spécialisés, 
    • Les commerces de détail de produits pharmaceutiques en magasins spécialisés, 
    • Les commerces de détail d’articles médicaux et orthopédiques en magasins spécialisés, 
    • Les commerces de détail d’optique, 
    • Les commerces de détail d’aliments et fournitures pour les animaux de compagnie, 
    • La vente par automates, 
    • Les hôtels et hébergements similaires, 
    • Les hébergements touristiques et autres hébergements de courte durée, lorsqu’ils constituent pour les personnes qui y vivent un domicile régulier, 
    • Les terrains de camping et les parcs pour caravanes ou véhicules de loisirs, lorsqu’ils constituent pour les personnes qui y vivent un domicile régulier, 
    • La location et la location-bail de véhicules automobiles,
    • La location et la location-bail d’autres machines, équipements et biens,
    • La location et la location-bail de machines et d’équipements agricoles,
    • La location et la location-bail de machines et d’équipements pour la construction,
    • Les activités des agences de placement de main-d’œuvre,
    • Les activités des agences de travail temporaire,
    • La réparation d’ordinateurs et de biens personnels et domestiques, 
    • La réparation d’ordinateurs et d’équipements de communication,
    • La réparation d’ordinateurs et d’équipements périphériques,
    • La réparation d’équipements de communication,
    • La blanchisserie-teinturerie, de gros et de détail,
    • Les services funéraires, 
    • Les activités financières et d’assurances, 

Il convient de noter que les ERP classés dans la catégorie de type W (Administrations, banques, bureaux) ne sont pas concernés par l’interdiction et peuvent donc continuer à recevoir du public. 

Cette liste a été complétée le 18 mars 2020 par l’activité de commerce de détail de produits à base de tabac, cigarettes électroniques, matériels et dispositifs de vapotage en magasin spécialisé. (https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2020/3/17/SSAZ2007919A/jo/texte)  

En revanche, les ERP relevant des catégories suivantes ne peuvent plus accueillir du public jusqu’au 15 avril 2020 : 

    • Les salles d’auditions, de conférences, de réunions, de spectacles ou à usage multiple (catégorie L),
    • Les magasins de vente et les centres commerciaux, sauf pour leurs activités de livraison et de retraits de commandes (catégorie M),
    • Les restaurants et les débits de boissons, sauf pour leurs activités de livraison et de vente à emporter, le “room service” des restaurants et les bars d’hôtels et la restauration collective sous contrat (catégorie N),
    • Les salles de danse et les salles de jeux (catégorie P), 
    • Les bibliothèques et le centres de documentation (catégorie S),
    • Les salles d’expositions (catégorie T), 
    • Les établissements sportifs couverts (catégorie X), 
    • Les musées(catégorie Y),
    • Les chapiteaux, tentes et structures (catégorie CTS),
    • Les établissements de plein air (catégorie PA),
    • Les établissements d’éveil, d’enseignement, de formation, les centres de vacances, les centres de loisirs sans hébergement, sauf exceptions (catégorie R).

Pénurie et baisse de production

La propagation du COVID-19 peut affecter la chaîne de production des entreprises.

Ainsi, que faire quand les entreprises font face à des pénuries de matières premières ou à des baisses de production et ne sont pas en mesure de livrer l’ensemble de leurs clients ?

Il faut envisager de ne faire que des livraisons partielles et/ou de ne pas livrer certains clients, tout en continuant à se conformer notamment aux règles du droit de la concurrence. 

L’entreprise doit absolument éviter de donner l’impression de suivre une stratégie visant à privilégier certains clients ou circuits de distribution sans raison objective, sous peine de sanctions. 

Une telle précaution est d’autant plus importante dans le cas où l’entreprise dispose d’une position dominante sur un des marchés sur lesquels elle est active. Une entreprise en position dominante est soumise à une responsabilité particulière liée à sa position et doit éviter de donner l’impression d’en abuser. 

Si le client est en situation de dépendance économique vis-à-vis de l’entreprise, le refus de vente ou plus généralement toute pratique discriminatoire constitue abus de dépendance économique, également sanctionné. 

Enfin, une telle pratique discriminatoire est susceptible d’être considérée par le juge comme créant un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat, ou comme constituant une rupture brutale de la relation commerciale, ou encore comme constituant une pratique de concurrence déloyale. 

Afin d’éviter ces écueils, l’entreprise doit vérifier la situation particulière de chacun de ses clients si elle n’est pas en mesure de le livrer en tout ou en partie. Cela va lui permettre d‘évaluer le risque associé à ce client et de déterminer les critères à appliquer pour la répartition des livraisons entre les clients/quels sont les clients à privilégier face à la pénurie. Les critères à prendre en compte sont notamment les suivants : 

  • La commande du client a-t-elle déjà été acceptée par l’entreprise ou non, 
  • quelle est la durée de la relation commerciale avec le client, 
  • quel est le chiffre d’affaires réalisé avec le client, 
  • quel est le degré de dépendance du client vis-à-vis de l’entreprise, 
  • le produit est-il substituable pour le client, 
  • le client a-t-il la possibilité d’obtenir des livraisons d’un concurrent et dans quel délai, 
  • quelles sont les conditions générales et autres clauses contractuelles spécifiques éventuellement (ex. obligation d’exclusivité) convenues avec le client, 
  • que prévoit le contrat– si un contrat a été conclu entre l’entreprise et le client- en cas d’inexécution du contrat, 

L‘entreprise pourra ensuite arrêter une politique de répartition des livraisons entre les clients en fonction de critères objectifs et clairement explicités et appliqués de manière uniforme à l’ensemble des clients concernés. En cas de situation égalitaire entre plusieurs clients, l’application de quotas de livraison proportionnels aux volumes commandés par les clients doit être privilégiée, en l’absence d’autres critères objectifs applicables. 

 Nota : les informations données ici le sont à titre indicatif uniquement, et sur la base du seul droit français. Chaque situation particulière doit faire l’objet d’une étude détaillée prenant en compte tous les aspects de droit et de fait qui lui sont propres.

Force Majeure et Imprévision

Peut-on invoquer la force majeure en raison du COVID-19 ou coronavirus ? 

Face à l’épidémie de Coronavirus et ses conséquences, les entreprises rencontrent des difficultés pour exécuter un certain nombre de contrats qu’ils ont conclus.

La question se pose donc de savoir si elles ne pourraient pas se prévaloir de l’argument de la force majeure, pour justifier qu’elles ne peuvent plus honorer un contrat et s’en sortir sans frais.

Le 28 février 2020, Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, a expliqué que le coronavirus était un cas de force majeure pour les entreprises, en particulier dans les marchés publics de l’État, justifiant l’inapplication des pénalités en cas de retard d’exécution des prestations contractuelles.

Le 16 mars 2020, le Président Macron a annoncé des mesures particulières, telles que la suspension des loyers, factures d’eau, de gaz, d’électricité, etc., sous certaines conditions dont les précisions sont prévues dans l’ordonnance n°2020-316 et un arrêté du 23 mars 2020. 

Mais qu’en est-il des autres contrats, où l’exécution n’a pas eu lieu ?

En droit français, la force majeure est prévue à l’article 1218 du code civil, créé par la réforme du droit des contrats de 2016, qui le définit comme « un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. »

Pour pouvoir se prévaloir de la force majeure, le cocontractant doit d’abord vérifier si trois conditions cumulatives sont bien réunies : 

  • L’événement doit tout d’abord échapper au contrôle du débiteur qui l’invoque,
  • Ensuite, il doit ne pas avoir été raisonnablement prévisible lors de la conclusion du contrat,
  • Enfin, il faut que ses effets ne puissent être évités par des mesures appropriées.

Si ces conditions sont réunies, le partenaire contractuel qui se prévaut de la force majeure peut légitimement s’abstenir d’exécuter partiellement ou totalement ses obligations.

Si le partenaire contractuel est empêché d’exécuter le contrat de manière temporaire, son obligation d’exécuter le contrat sera suspendue, sauf si le retard d‘exécution est tel, qu’il justifie que le contrat soit résolu. S’il est empêché d’exécuter le contrat de manière définitive, le contrat sera résolu de plein droit et les partenaires contractuels seront alors libérés de leurs obligations.

 Le coronavirus constitue-t-il un cas de force majeure tel que défini à l’article 1218 du Code civil

A ce jour, la jurisprudence existante en matière de maladie et d’épidémies dit plutôt le contraire.

En effet, la jurisprudence a déjà tranché la question pour la peste, la grippe H1N1, la dengue, Ebola ou encore le chikungunya. Elle a considéré à plusieurs reprises que ces crises sanitaires n’étaient pas constitutives d’événements de force majeure :

    • soit parce que la maladie ou l’épidémie pouvait être anticipée au moyen d’un traitement préventif (CA Paris, 25 septembre 1998, n° 98/024244) ; de même pour le virus H1N1, les juges ont considéré que son arrivée avait été largement annoncée avant même l’implémentation de réglementations sanitaires (CA Besançon, 2è ch. Com., 8 janv. 2014, RG n° 12/02291) ; en outre, par exemple pour la dengue, l’épidémie a été considérée comme récurrente et donc prévisible (Nancy, 1ère ch. Civ., 22 nov. 2010, RG n° 09/00003) ;
    • soit parce que les maladies n’étaient pas « suffisamment » mortelles (CA Basse-Terre, 17 décembre 2018, n° 17/00739) ;
    • soit, par exemple pour le virus Ebola, parce que la partie qui invoquait la force majeure ne démontrait pas qu’elle était dans l’impossibilité d’exécuter son obligation du fait du virus (CA Paris, 29 mars 2016, n° 15/04263 ;CA Rennes, 9 mars 2018, n° 18/01827)

Les tribunaux ont donc jugé que ces crises sanitaires ne constituaient pas des motifs justifiant l’inexécution d’un contrat pour la partie qui l’invoque.

Toutefois, il est permis de penser que la situation est bien différente pour le COVID-19. 

Tout d’abord, la crise sanitaire du COVID-19 a des effets inédits et graves. On compte à ce jour en France environ 25.233 personnes officiellement contaminées et 1331 morts.

En outre, il s’agit d’une crise d’ampleur mondiale. L’OMS a qualifié l’épidémie de coronavirus de pandémie mondiale et qu’elle constituait une urgence sanitaire et sociétale mondiale appelant une action immédiate et efficace des gouvernements, des personnes et des entreprises. 

En France, pour tenter d’endiguer la pandémie, les pouvoirs publics adoptent presque quotidiennement des mesures et des textes législatifs et réglementaires à une vitesse édifiante, démontrant clairement le caractère exceptionnel, inédit et grave de la situation.

Ces décisions des pouvoirs publics pourraient être qualifiées de « faits du prince » en droit administratif ou d’obstacles insurmontables à l’exécution d’obligations contractuelles, constitutifs d’événements de force majeure.

Pour les marchés publics, le Gouvernement français a d’ores et déjà déclaré le 28 février 2020 que le COVID-19 constituait un cas de force majeure [1]

Il est donc probable que la même position soit adoptée pour les contrats de droit privé. Il reste à savoir si le gouvernement prendra les devants ou s’il confiera cette mission aux juridictions. 

A cet égard, la Cour d’Appel de Colmar vient de retenir la qualification de force majeure de l’épidémie de COVID-19 dans une affaire de rétention administrative : la personne frappée par cette mesure avait été en contact avec des personnels susceptibles d’être infectées par le virus COVID-19 et ne pouvait comparaître l’audience. La Cour a considéré que ces circonstances exceptionnelles revêtaient le caractère de la force majeure et justifiaient de tenir l’audience en l’absence de cette personne compte tenu des délais imposés (Colmar, 6e ch., 12 mars 2020, n° 20/01098). 

Enfin, il est important de vérifier si les partenaires contractuels n’ont pas inséré dans leurs contrats ou leurs conditions générales une clause relative à la force majeure. Il est fréquent en effet en pratique que les parties au contrat définissent les événements constitutifs de la force majeure et qu’elles excluent à ce titre les crises sanitaires et les décisions prises par les autorités publiques. Si la crise sanitaire est envisagée comme un cas de force majeure dans une telle clause, il convient alors de vérifier quels sont le régime et la procédure applicables pour la mettre en œuvre utilement.

Peut-on invoquer l’imprévision en raison du COVID-19 ou coronavirus ? 

La crise sanitaire mondiale du COVID-19 a été qualifiée « d’urgence de santé publique de portée internationale » par l’OMS le 30 janvier 2020. 

Elle génère des difficultés économiques et logistiques pour les acteurs de la vie économique, qui peuvent vouloir revoir leurs contrats.

La question se pose donc de savoir si l’épidémie de COVID-19 peut être invoquée comme cause de révision du contrat pour imprévision.

L’imprévision est un outil juridique inspiré du droit allemand, qui a été instauré pour la première fois en droit français par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. 

En droit français, l’imprévision se définit comme un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat rendant l’exécution excessivement onéreuse pour un partenaire contractuel (article 1195 du code civil). 

Pour pouvoir invoquer la théorie de l’imprévision, le partenaire contractuel lésé doit donc démontrer :

  • un changement de circonstances qui n’était pas prévisible lors de la conclusion du contrat, 
  • que ce changement rend l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour lui,
  • qu’il n’a pas accepté d’en assumer le risque

Si ces conditions sont cumulativement remplies, le partenaire contractuel qui subit l’état d’imprévision peut demander à l’autre partie une renégociation du contrat pour le rééquilibrer, mais il doit continuer d’exécuter le contrat pendant sa renégociation.

Si l’autre partie refuse la renégociation, ou si celle-ci échoue, les parties peuvent convenir de résilier le contrat en se mettant d’accord sur la date de fin du contrat et sur ses conditions. Elles peuvent également d’un commun accord demander au juge d’adapter le contrat. 

Si les parties ne parviennent pas à s’entendre dans un délai raisonnable, l’une d’elles peut saisir le juge, qui pourra décider de réviser le contrat ou prononcer sa résolution.

A noter toutefois, que les dispositions relatives à l’imprévision ne sont applicables qu’aux seuls contrats et conditions générales conclus postérieurement à l’entrée en vigueur de la réforme du droit des obligations, c’est-à-dire après le 1er octobre 2016. Les parties ayant conclu leurs contrats avant cette date ne pourront donc pas a priori se prévaloir des règles relatives à l’imprévision, sauf si elles ont inséré une telle clause dans leurs conventions (notamment clauses de hardship, de renégociation, d’adaptation, etc.).

Le coronavirus constitue-t-il un état d’imprévision ? 

Toute comme pour la force majeure, il semblerait que la crise sanitaire du COVID-19 pourrait parfaitement constituer un cas d’imprévision permettant aux parties de renégocier leur contrat, par exemple le temps que dure la situation de crise.

A l’instar de la force majeure, la règle de l’imprévision ayant été adoptée récemment en droit français, il n’existe pas encore, à ce stade, de jurisprudence suffisamment établie, surtout en matière d’épidémies. 

Cependant, comme indiqué pour la force majeure, la pandémie du COVID-19 est une situation inédite, extrêmement grave et d’ampleur mondiale. 

Il est donc permis de penser que la crise sanitaire du COVID-19 pourrait constituer une cause d’imprévision.

La consécration en droit français de la règle de l’imprévision, au même titre que les droits allemand, italien, polonais ou encore japonais, nous conforte dans cette analyse et pourrait constituer une alternative dans le cas où la force majeure ne serait pas retenue.

Quoiqu’il en soit, avant toute chose, il convient de vérifier si les parties ont inséré dans leurs contrats ou leurs conditions générales une clause définissant les cas d’imprévision et organisant son régime juridique, ou à l’inverse excluant spécifiquement cette situation.

Et même en présence d’une telle clause, les parties peuvent convenir d’y déroger et de rediscuter spontanément les termes du contrat de bonne foi.

LFA version Allemande
L'Équipe Franco-Allemande de GGV